
Truites, Ombres,
éphémères et cône de vision.
De nombreux
moucheurs vous conteront qu'au moins une
fois au cours de leurs sorties de pêche,
les salmonidés gobaient presque tout ce
qui pouvait dériver jusqu'à eux :
Ce jour là, petits moucherons,
brindilles, débris de végétaux et
même graines de pissenlits portés par
le vent jusquà la surface de la
rivière, étaient systématiquement
gobés et le plus souvent, bien sûr,
recrachés.
Ces moments où les truites semblent
vouloir découvrir le goût de chaque
élément, de toute particule entrant
dans leur cône de vision
sont très rares.
En effet, aux mois de mai et juin, par
exemple, les truites adoptent au
contraire un comportement nutritionnel
très sélectif. Cette attitude obligera
le moucheur à leur présenter une
artificielle imitant au mieux les
éphémères, faute de quoi, il rentrera
bien souvent bredouille. Ceci se
vérifiera dautant plus que les
poissons convoités seront de bonne
taille et quils auront appris,
pendant leurs années dexistence et
donc d'expériences, à se familiariser
avec leur environnement aquatique et à
se méfier de l'hostilité de leur monde
extérieur et, en particulier, des
pêcheurs et de leurs ruses.
Pendant cette période de l année,
les truites identifient avec précision
ces insectes éphémères et, par
conséquent, nos imitations artificielles
selon certains critères qui, par ordre
dimportance, sont, par expérience,
leurs dimensions, leur aspect et leurs
couleurs.
Rappelons tout dabord brièvement
le cycle d'évolution des éphémères,
connaissance dimportance capitale
lorsquon s'attaque à la confection
de mouches artificielles pour la pêche.
Cycle de
vie des éphémères
Les oeufs qui
adhèrent aux graviers ou à
dautres éléments du lit de la
rivière éclosent pour donner naissance
à des nymphes qui vivront leur existence
de larve au fond de l'eau et mueront
plusieurs fois au cours de celle-ci. A la
fin de cette vie aquatique, ces nymphes
regagnent alors la surface pour émerger
(nymphe émergeante). Juste sous la
surface de l'eau, l'éphémère
sextirpe de son enveloppe nymphale
pour enfin déployer ses ailes. A ce
moment précis, linsecte appelé
subimago commence à sécher ses ailes à
la surface de l'eau avant de pouvoir
prendre son envol. Le passage au stade
imago (insecte parfait aux ailes
défripées séchées et enfin
opérationnelles) durant la métamorphose
finale, se déroule en général dans le
feuillage de la berge. Il est à noter
que les subimagos de certaines espèces
gagnent en nageant les berges de la
rivière pour effectuer leur
métamorphose finale en éphémère. A la
tombée du jour, ces insectes
s'assemblent au dessus du cours d'eau
pour s'accoupler en vol. Juste après,
les femelles déposent leurs oeufs à la
surface de l'eau, lesquels couleront pour
adhérer aux obstacles immergés
(signalons que certains insectes nagent
vers le substrat du lit du cours d'eau
pour y déposer leurs oeufs). Les
éphémères mourront alors (spents) et
tomberont à la surface de l'eau. Plus
tard, l'éclosion des oeufs recommencera
un nouveau cycle de vie de ces insectes.
Ceci étant, notre objectif qui est de
fabriquer des mouches artificielles, va
donc se limiter à l'imitation des quatre
stades d'évolution de l'éphémère que
sont la nymphe (mouche de pleine eau), la
nymphe émergeante (mouche noyée), le
subimago et le spent (les imitations de
ces deux derniers stades étant des
mouches sèches).
Nos
mouches à la vue d'une truite.
Des facteurs d'une
grande importance vont influencer le
réalisme plus ou moins poussé à donner
à nos imitations d'éphémères.
L'élément eau (Domaine des nymphe et
nymphe émergeante). Une truite
discernera avec précision une nymphe en
pleine eau ou une nymphe émergeant
(mouche noyée) parce que proies et
prédateurs se trouvent dans le même
milieu aquatique "liquide" et
que la vision qua le prédateur de
sa proie nest pas altérée. Nous
devrons donc nous appliquer à reproduire
l'insecte avec beaucoup de réalisme pour
que les truites acceptent de les gober
(taille, aspect et couleurs ).
L'élément air (Domaine des imago,
subimago et spent): Les truites ont une
perception visuelle plus complexe de leur
monde extérieur "aérien". On
le nomme cône de vision. D'après les
nombreuses recherches de P. Barbellion,
la truite dans son milieu aquatique a, au
dessus d'elle, un cône de vision de 100
degrés environ. Ceci se concrétise par
la vue d'une fenêtre circulaire
transparente s'ouvrant à l'univers
aérien. En dehors de cette fenêtre, la
surface de l'eau, si elle est calme, agit
comme un miroir lui réfléchissant le
fond de la rivière. On dit qu'il y a
réflexion totale. La taille de la
fenêtre est proportionnelle à la
distance qui existe entre la surface et
les yeux du poisson. Plus la distance est
grande et plus la fenêtre
sagrandit. Son diamètre, à la
surface de leau, est égale à deux
fois cette distance (profondeur à
laquelle se situe le poisson). Ainsi,
lorsqu'une mouche apparaît dans le cône
de vision d'une truite, par beau temps,
celle ci la voit à contre jour et par
transparence. En dehors des limites de
cette fenêtre, notre salmonidé
percevra, dune part, directement
mais seulement les déformations de la
surface de l'eau engendrées par notre
mouche artificielle ainsi que la pointe
de notre bas de ligne, qui sil est
dun diamètre trop gros peut
inquiéter le poisson convoité. Mais
aussi, dautre part, par réflexion,
le fond de la rivière.
Ainsi, pêchant par beau temps, à vue
les gobages sur des plats ou lisses
dune rivière (pools), une truite,
postée à une certaine profondeur verra
apparaître dabord, hors du cône
de vision les déformations de la surface
générées par les 6 pattes et les
cerques de l'insecte, ou celles crées
par votre artificielle. Puis
linsecte ou la mouche se rapproche
et gagne le cône de vision. Lui
apparaissent alors rapidement et par
transparence, la tête puis le thorax,
les pattes les ailes puis enfin
labdomen et les cerques. A ce
moment précis, la truite bénéficie
d'un certain temps d'appréciation pour
se décider à gober ou non l'insecte ou
l'artificielle que vous lui présentez.
Ce temps est proportionnel à la
profondeur d'eau où la truite se situe.
Il est plausible dadmettre qu'une
fario postée sous dix centimètres
deau bénéficiera donc d'un cône
de vision très restreint (vingt
centimètres) ne lui permettant pas
alors, dans un temps relativement court,
passer à la loupe les
détails de linsecte véritable ou
de son leurre.
Quelles
déductions tirer de tout ceci?
Devons nous nous
évertuer à réaliser des imitations
d'éphémères très réalistes pour les
trois stades d'évolution: subimago,
imago femelle venant pondre à la surface
du cours d'eau ou encore spent?
Sachant qu'un subimago qui dérive à la
surface, sèche ses ailes opaques
légèrement bleutées en position
verticale, est il un impératif de
concevoir nos artificielles pourvues de
telles ailes?
Sont elles réellement vues par le
poisson?
Les mouches de types araignée, sans
ailes, semblent depuis fort longtemps
avoir fait leurs preuves. Cependant, sur
des secteurs de rivière où les eaux
sont calmes, où les truites peuvent voir
pendant un temps suffisamment long par
transparence et sans déformation tout ce
qui pénètre leur cône de vision, les
mouches équipées de leurs ailes auront
une utilité et une efficacité
certaines. Néanmoins, les imitations
dailes devront être d'une
conception discrète et seront peu
volumineuses afin d'éviter le refus du
poisson au gobage ainsi que le vrillage
du bas de ligne lors des lancers. On
pourra très bien les concevoir en fibres
de hackel ou bien en pointes de poils de
cervidés. Pour ce qui est des corps,
leur translucidité étant difficilement
réalisable avec certain matériaux de
densité supérieure à celle de l'eau,
l'utilisation des dubbings ou herls
montés avec une soie de montage
correspondant au coloris de l'abdomen de
l'éphémère donneront de bons effets de
transparence. Ils répondent bien à la
lumière et facilitent, par leur
légèreté, la flottaison de la mouche.
Il est à noter que les corps, discrets
et fins, réalisés simplement en soie de
montage se montrent aussi très
efficaces. Les cerques, quant à eux,
participent grandement à la flottaison
de la mouche tout comme dans la réalité
ceux du subimago lui permettent de se
maintenir à la surface de leau
lorsquil sèche ses ailes avant de
pouvoir prendre son envol. De plus, les
cerques sont pour le poisson, dans
lallure de notre artificielle, des
éléments clés didentification
qui lui feront prendre notre leurre pour
un éphémère naturel. Ainsi, pour la
truite, les cerques seront en quelque
sorte le signal déterminant qui
déclenchera lattaque aussi bien
hors du cône de vision où ils seront
perçus par la déformation de la surface
liquide qu'à l'intérieur de ce cône,
visualisés alors par transparence.
Par contre, dans un secteur de rivière
mouvementée ou leau sagite
en rapides ou petites cascades, le bon
choix ne sera plus d'utiliser une mouche
à ailes mais une artificielle de type
palmer munie de cerques pour une
flottaison maximale et, dans ces
conditions, techniquement nécessaire
Dans cet environnement, la truite ne
distinguera effectivement de notre leurre
que des éléments plus ou moins flous et
imprécis.
Il y à bien sûr des cas où il n'est
pas question de se passer de
l'utilisation d'ailes pour nos
artificielles. Ces attributs deviennent
en effet souvent indispensables pour
déclencher l'attaque des farios lorsque
les spents dérivent en surface, la ponte
des éphémères femelles accomplie. Les
ailes de nos artificielles, fixées alors
non plus verticalement mais à plat pour
imiter l'éphémère mort rendront
particulièrement efficace notre mouche.
Concevoir ses propres modèles
d'éphémères afin de les adapter aux
différentes rivières devient très vite
un atout majeur et indispensable pour
réaliser de belles pêches. Certes, on
trouve dans le commerce une grande
diversité de modèles imitant les
éphémères de moucheurs renommés, mais
c'est en les réalisant soi-même que
l'on pourra leur ajouter une touche
personnelle les rendant plus attractives
sur un parcours de rivière bien précis.
Chaque rivière possède sa truite de
souche mais aussi ses éphémères. Il
est à noter que plus on avance dans la
saison, plus la taille des insectes
diminue. Cest ainsi que, lorsque
l'on se trouve au bord de la rivière,
une boîte de montage sera souvent
précieuse pour confectionner
l'éphémère adéquate au moment
opportun.
Pour conclure cet exposé de la vision
des truites sur les éphémères, il est
à retenir avant tout que les détails à
apporter à nos artificielles dépendront
en grande partie de la nature de la
rivière et de la profondeur à laquelle
se situe le poisson:
- imitations d'éphémères très
réalistes pour des courants modérés et
des surfaces lisses, truite postée en
profondeur,
- imitations d'éphémères simplifiées
pour des courants agités et des surfaces
déformées, truite postée proche de la
surface.
Enfin, réaliser ses propres modèles
déphémère d'une façon
détaillée, permettra d'aborder en
règle générale, l'ensemble des
secteurs aussi variés qu'ils soient de
la rivière même si un leurre simplifié
est suffisant dans des portions de
parcours où leau, agitée, doit se
frayer un passage entre les rochers ,
Philippe
MATHIEU. Reproduction, même partielle,
interdite sans autorisation de l'auteur.
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